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Emploi et bien-être après la fermeture d’usines en Suisse

28/05/2024
@Blue Planet Studio | iStock

Comment la fermeture d'une usine affecte-t-elle l'emploi et le bien-être des travailleur·euses déplacé·e·s ? Les chercheur·es du Centre LIVES Daniel Oesch, Fiona Köster, Isabel Baumann et Matthias Studer (Universités de Lausanne et Genève) ont mené deux enquêtes auprès de travailleur·euses de cinq usines de fabrication de taille moyenne en Suisse, deux et onze ans après des licenciements massifs. Deux ans après la fermeture, 69% des travailleur·euses déplacé·e·s avaient retrouvé un emploi, 20% étaient au chômage et 11% avaient pris leur retraite. L’âge des travailleur·euses ainsi que le contexte régional de l’entreprise jouent un rôle important dans la réinsertion professionnelle, bien au-delà des compétences et de la motivation individuelles. Dans l'ensemble, les résultats post-déplacement en Suisse ont été plus favorables que lors d'autres fermetures d'usines en Europe. Ces interruptions involontaires de travail ainsi que les parcours instables qu’elles peuvent engendrer influencent également le bien-être des travailleur·euses sur le long terme. 

Après la Grande Récession de 2008, des centaines d’employés (majoritairement des hommes), travailleurs à la chaîne, techniciens, ingénieurs et cadres ont perdu leur emploi dans le secteur de la manufacture. Les chercheur·es se sont concentrés sur la fermeture de cinq usines de taille moyenne en 2009 ou 2010 à Genève, Bienne, Soleure (deux usines) et Berne. Ils et elles ont interrogé un échantillon de 1200 travailleurs déplacés, d'abord en 2011 - deux ans après la fermeture des usines - et à nouveau en 2020, onze ans après ces fermetures. Bien que 69% d’entre eux aient retrouvé du travail dans les 2 ans, les travailleur·euses plus âgé·es ont eu du mal à trouver un nouvel emploi (57% contre 88% des jeunes) et ont souvent dû accepter des baisses de salaire importantes et des emplois instables. 

Autre conséquence de l’âge, de nombreuses personnes à la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine ont été durement touchées, car trop jeunes pour bénéficier d'une retraite anticipée et trop âgées pour repartir à zéro. Les programmes actifs, tels que des conseils en matière de recherche d'emploi, d'éducation et de formation complémentaires, ainsi que d'emplois subventionnés sont ainsi cruciaux pour cette frange de travailleurs. 

Taux de chômage local et conditions sociales

Alors que le cycle économique et le chômage régional déterminent la difficulté à trouver un nouvel emploi, les régimes de retraite anticipée déterminent le parcours de nombreux travailleurs âgés. Ainsi, deux ans après la fermeture des usines, un travailleur sur cinq était sans emploi et un travailleur sur dix était à la retraite, principalement grâce aux options de retraite anticipée incluses dans les plans sociaux des entreprises. Environ cinq ans après la fermeture de l'usine, le chômage avait encore baissé pour atteindre environ 5%. 

Ces chiffres varient cependant selon les régions. À Genève, deux ans après la fermeture, le taux de chômage de travailleurs déplacé est de 40% alors qu’il est de 20% à Bienne et en-dessous des 10% dans les trois autres usines à Berne et à Soleure. Ce contraste s'explique en partie par le fait que les taux de chômage locaux étaient plus de deux fois plus élevés à Genève qu'à Berne. Mais surtout, les différences en matière de retraite anticipée ont pesé lourd dans la balance. En offrant une retraite anticipée aux travailleurs âgés de 57 ans et plus, l'usine de Berne a permis à plus d'un quart de sa main-d'œuvre de partir à la retraite, alors que l'usine de Bienne, en faillite, n'offrait aucune aide financière à la retraite anticipée et que moins de 5% des travailleurs déplacés ont pu partir à la retraite.

Impact de l’instabilité professionnelle sur le bien-être global

L’étude mesure également l'évolution de la satisfaction de la vie et examine l'impact de la fermeture de l'usine sur le bien-être non matériel des individus à moyen et long terme. Grâce aux calendriers de vie, les chercheur·es sont allé·es au-delà de simples instantanés et ont retracé les trajectoires des travailleurs sur une période continue de 10 ans après la fermeture de l'usine pour en ressortir quatre types de trajectoires : retraite (38%), salaire stable ou supérieur (36%), salaire inférieur (17%), instable (8%). Ils et elles observent que la perte d'un emploi représente une transition bénigne dans la trajectoire de nombreux jeunes travailleurs, mais constitue un tournant critique dans la vie de nombreux travailleurs plus âgés. Malgré cela, les travailleurs dans le type de trajectoire "retraité" sont en moyenne les plus satisfaits. La retraite pourrait donc avoir libéré de nombreux demandeurs d'emploi âgés des marchés du travail qui les avaient relégués à la fin de la file d'attente. Les personnes dans le type de trajectoire instable signalent des niveaux de satisfaction beaucoup plus bas deux ans et onze ans après le licenciement collectif.

Article complet

Oesch, D., Köster, F., Studer, M., & Baumann, I. (2023). Employment and well-being after plant closure: Survey evidence from Switzerland on the mid and long run. Economic and Industrial Democracy, 0(0). https://doi.org/10.1177/0143831X231209825