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Les multiples parcours de la monoparentalité Laura Bernardi

Afin d'étudier les multiples facettes de la monoparentalité, l'accent a été mis sur divers aspects de ces familles au fil de l'étude. 

1. Les multiples parcours de la monoparentalité : Diversité des parcours et vulnérabilité latente

La complexité croissante des formes familiales touche un nombre de plus en plus important de personnes vivant l’expérience de la monoparentalité à un moment de leur trajectoire personnelle. En trois décennies, leurs profils se sont en effet diversifiés. 

La complexité croissante des formes familiales touche un nombre de plus en plus important de personnes vivant l’expérience de la monoparentalité à un moment de leur trajectoire personnelle. En trois décennies, leurs profils se sont en effet diversifiés. L’analyse de données menée dans le cadre du projet montre que si autrefois la monoparentalité concernait principalement des personnes veuves et plus rarement des jeunes mères sans partenaire, aujourd’hui elle est principalement constituée de femmes divorcées ou séparées et, dans une certaine mesure, de femmes qui décident d’avoir des enfants seules. Pendant ces trois mêmes décennies, la durée moyenne des situations de monoparentalité a nettement diminué, en raison d’un très fort taux de remise en couple. À cette image déjà complexe de la monoparentalité viennent s’ajouter les situations de plus en plus courantes de garde alternée ou les deux parents se partagent une partie importante du temps avec les enfants mais ce, séparément l’un de l’autre (Bernardi, Mortelmans, & Larenza, (2018).

Comme le montrent les résulats issus de l’étude longitudinale en Suisse romande, la transition à la monoparentalité est souvent un processus non-linéaire et évolutif, dont le début et même parfois la fin sont difficiles à identifier précisément par les personnes concernées, qui expriment de fortes ambivalences dans leurs relations avec leur(s) (ex) partenaire(s) et face à leur situation familiale (Bernardi & Larenza, 2018). La monoparentalité est donc un processus dynamique qui ne peut pas être facilement enfermé dans des définitions monodimensionnelles et figées. Cette fluidité de parcours met au défi les politiques sociales visant à diminuer les inégalités sociales entre les enfants issus de ruptures familiales et les autres enfants.

En effet, les familles monoparentales restent une catégorie plus susceptible de connaître la précarité. Plus précisément, les risques apparaissent surtout quand plusieurs facteurs se cumulent : jeunesse de la mère, manque de formation, chômage, problèmes de santé de la mère ou des enfants. La monoparentalité est ainsi à l’intersection des inégalités de genre et de classe, inégalités qui sont parfois exacerbées par les structures sociales. La faible intégration des femmes dans le marché du travail et la difficulté à concilier emploi et vie de famille augmentent significativement le risque de devoir recourir à l’aide sociale. La faiblesse des politiques de conciliation emploi-famille en Suisse représente une source de stress supplémentaire pour les monoparents, qui n’ont pas autre choix que d’assumer seuls les responsabilités financières et de soins de leurs enfants (Struffolino & Bernardi, 2017).

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2. Une forte participation au marché du travail contraste avec les images stéréotypées du monoparent comme bénéficiaire de l’assistance sociale

Surreprésentés dans les statistiques d'aide sociale, les monoparents sont souvent victimes de stigmatisation, dépeints comme abusant de l'aide sociale et rechignant à travailler au prétexte qu'ils élèvent seuls leurs enfants. Toutefois, les résultats de la recherche suggèrent le contraire : que ce soit en Suisse ou ailleurs en Europe, les mères seules ont une plus grande probabilité d'être actives et de travailler de longues heures comparées aux mères vivant en couple. 

Surreprésentés dans les statistiques d'aide sociale, les monoparents sont souvent victimes de stigmatisation, dépeints comme abusant de l'aide sociale et rechignant à travailler au prétexte qu'ils élèvent seuls leurs enfants. Toutefois, les résultats de la recherche suggèrent le contraire : que ce soit en Suisse ou ailleurs en Europe, les mères seules ont une plus grande probabilité d'être actives et de travailler de longues heures comparées aux mères vivant en couple. En particulier, notre analyse de données d’enquête en Suisse montre que la plupart des mères célibataires maintiennent ou augmentent leur taux d’emploi lors de la transition à la monoparentalité (Struffolino, Bernardi & Larenza, 2018). Ces mères sont proportionnellement plus représentées dans les emplois à temps plein et à temps partiel élevé, mais souffrent en même temps d'un taux de chômage proportionnellement plus élevé que les mères en couple. Les facteurs comme l'âge, le niveau de formation ou le parcours de migration et la région d'origine peuvent jouer un rôle (Milewski, Struffolino et Bernardi, 2018). Ces résultats suggèrent qu’il faudrait revoir l'hypothèse courante et facile selon laquelle les mesures de protection sociale tendraient à décourager les mères célibataires à intégrer le marché du travail. Le faible taux d'emploi parmi certains groupes de mères seules migrantes laissent plutôt entrevoir les raisons suivantes:

  • des moindres niveaux de rémunération et de sécurité de l’emploi dans les secteurs de travail peu qualifiés
  • des manques en termes de capital social et de capital économique nécessaires pour faire garder ses enfants et assumer les frais de déplacement depuis une zone d’habitation bon marché et excentrée

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3. L’inadaptation des politiques sociales à la situation de monoparentalité

Grâce à une analyse qualitative des récits des participants à l’étude, notre recherche illustre la manière dont les politiques sociales peuvent contribuer à la vulnérabilité des monoparents en tant que facteurs de stress, et générer des répercussions dans plusieurs domaines de leur vie et au fil du temps (Larenza, 2019). L’étude démontre également que la capacité des parents à réagir aux facteurs de stress peut être orientée par leurs relations avec les personnes importantes de leur entourage.

Grâce à une analyse qualitative des récits des participants à l’étude, notre recherche illustre la manière dont les politiques sociales peuvent contribuer à la vulnérabilité des monoparents en tant que facteurs de stress, et générer des répercussions dans plusieurs domaines de leur vie et au fil du temps (Larenza, 2019). L’étude démontre également que la capacité des parents à réagir aux facteurs de stress peut être orientée par leurs relations avec les personnes importantes de leur entourage.

En nous concentrant sur deux mesures de politiques sociales spécifiques, nous avons constaté, entre autres, que le cadre juridique n'est pas très efficace pour les mères qui font face à des violations des paiements de pension alimentaire pour leurs enfants. En effet, le manque de ressources financières dû à ces violations peut encore affecter plusieurs aspects de la vie des mères seules. De plus, les mères ne veulent pas toutes réagir face à ces violations, car elles font face à des dilemmes moraux, impliquant l'autre parent et sa relation avec les enfants. Certaines mères s'adaptent également aux violations totales en changeant leur propre cheminement de carrière pour faire face au manque de ressources financières, ce qui a un impact négatif sur d'autres domaines de leur vie.

Deuxièmement, nous avons discuté différentes façons dont les parents seuls réagissent face aux problèmes d'accès aux prestations d'aide sociale. Nos recherches montrent que les réactions des parents à ces problèmes dépendent de leurs ressources individuelles et du moment où surviennent les événements dans leur parcours de vie. Par exemple, si la séparation est récente, les parents peuvent avoir moins de temps pour demander des prestations même s'ils savent qu'ils pourraient y avoir accès. De plus, le manque d'accès aux prestations d'aide sociale peut non seulement avoir des répercussions sur leur situation économique, mais aussi entraîner un ensemble plus complexe de changements dans d'autres domaines de leur vie. Par exemple, le développement de leur carrière ou l'accomplissement de leur rôle de parent auprès des enfants peuvent être entravés.

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4. La santé des monoparents et de leurs enfants

La condition de monoparent continue à être associée à de multiples désavantages : pauvreté et trajectoires d’emploi fragmentées viennent s'ajouter à une santé fragilisée. Les différences d'état de santé des mères célibataires ont à la fois été attribuées à leurs plus hauts niveaux de stress psychosocial et financier, car elles travaillent plus souvent dans des emplois à basse rémunération et doivent s’occuper seules de leurs enfants. Cependant, et en contraste avec d’autres études, nos recherches ont montré que, dans le cas de la Suisse, mères seules avec une formation post obligatoire et travaillant à temps plein ont un meilleur niveau de bien-être. 

La condition de monoparent continue à être associée à de multiples désavantages : pauvreté et trajectoires d’emploi fragmentées viennent s'ajouter à une santé fragilisée. Les différences d'état de santé des mères célibataires ont à la fois été attribuées à leurs plus hauts niveaux de stress psychosocial et financier, car elles travaillent plus souvent dans des emplois à basse rémunération et doivent s’occuper seules de leurs enfants. Cependant, et en contraste avec d’autres études, nos recherches ont montré que, dans le cas de la Suisse, mères seules avec une formation post obligatoire et travaillant à temps plein ont un meilleur niveau de bien-être. Elles sont plus heureuses, moins stressées et en meilleure santé que les mères seules qui travaillent à temps partiel et que celles qui s’occupent de leurs enfants à temps plein (Struffolino, Bernardi et Voorpostel, 2016). Ces résultats sont à mettre en relation avec un certain effet de sélection, étant donné qu’en Suisse les mères qui travaillent à temps plein restent une minorité.

Nous avons également comparé la situation suisse avec celle d’autres pays européens (la Suède, la Norvège, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne), en particulier en testant la relation entre les parcours de monoparentalité, la remise en couple et l’état de santé de mères (Recksiedler & Bernardi, 2019). La question qui se posait était la suivante: une nouvelle relation représente-t-elle des ressources supplémentaires ou un stress supplémentaire dans ces familles à l’équilibre délicat ? Nos résultats montrent que le type de politiques publiques en place dans chaque pays est très important pour définir l'impact de la remise en couple pour la santé des mères. Ces résultats suggèrent que dans des pays avec des politiques publiques moins généreuses envers la famille, comme en Suisse, la santé des mères s'améliore avec une nouvelle union. Mais en parallèle, les parcours familiaux de ces femmes ont tendance à être moins stables. Nous interprétons ces résultats comme une indication que la remise en couple peut être une stratégie partiellement inefficace à terme pour faire face au manque de ressources des monoparents.

Nous avons également étudié un cas centré sur la situation espagnole (Garriga et Bernardi, 2019), pays où la garde alternée se diffuse récemment comme arrangement familial suite aux ruptures. Nous avons comparé le bien-être des adolescents vivant en situation de monoparentalité à celle des adolescents qui partagent leur temps avec les deux parents séparés de manière plus égalitaire. Le bien-être était mesuré en termes de satisfaction et évaluation de la qualité de vie ainsi que d’une série de symptômes indiquant le mal-être psychologique tels que la difficulté à dormir ou somatiques comme les maux de tête fréquents. Nous étions particulièrement attentifs aux différences parmi les enfants provenant de familles désavantagées et leurs pairs. Nos résultats suggèrent que la garde alternée est plus commune pour les enfants de familles plus avantagées et que ces enfants en bénéficient davantage par rapport aux enfants issus de milieux plus défavorisés.

Publications pour ce sous-projet 

  • Garriga, A. and L. Bernardi (2019), Heterogeneity in the effects of children living arrangements on children's health outcomes, Revue des politiques sociales et familiales,n° 131-132 (2e et 3e trimestres) : 207-221.
  • Recksiedler C. and L. Bernardi (2019). Lone Mothers’ Repartnering Trajectories and Health: Does the Welfare Context Matter?  Journal of Family Issues, 40(17), 2582-2604. 
  • https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0192513X19860175
  • Struffolino, E., Bernardi, L., & Voorpostel, M. (2016). Self-reported health among lone mothers in Switzerland: Do employment and education matter? Population, 71(2), 193–222. http://www.journal-population.com/wp-content/uploads/2016/06/StruffolinoEN.pdf

5. Monoparentalité en temps de pandémie

La pandémie a constitué un choc majeur qui a sérieusement mis à mal la capacité des familles à s'adapter à des changements soudains touchant de multiples domaines de la vie. La Suisse a mis en place un verrouillage de faible intensité au printemps 2020, avec des mesures de distanciation sociale basées sur les recommandations officielles. Les changements dans les situations et les conditions de travail (tels que les licenciements, le chômage temporaire et le travail à domicile) et la nécessité d'organiser l'enseignement à domicile et la garde des enfants ont entraîné des modifications importantes de la vie familiale. En outre, les parents ont dû faire face aux incertitudes accrues générées par ce nouveau contexte. La quatrième vague d'entretiens du projet, recueillis en avril-juin 2020, nous a permis d'analyser comment les familles monoparentales ont vécu et fait face à ces défis.

La pandémie a constitué un choc majeur qui a sérieusement mis à mal la capacité des familles à s'adapter à des changements soudains touchant de multiples domaines de la vie. La Suisse a mis en place un confinement de faible intensité au printemps 2020, avec des mesures de distanciation sociale basées sur les recommandations officielles. Les changements dans les situations et les conditions de travail (tels que les licenciements, le chômage temporaire et le travail à domicile) et la nécessité d'organiser l'enseignement à domicile et la garde des enfants ont entraîné des modifications importantes de la vie familiale. En outre, les parents ont dû faire face aux incertitudes accrues générées par ce nouveau contexte. La quatrième vague d'entretiens du projet, recueillis en avril-juin 2020, nous a permis d'analyser comment les familles monoparentales ont vécu et fait face à ces défis.

Nos résultats montrent que les parents qui sont restés en emploi ont été confrontés aux pressions temporelles les plus fortes, bien que leurs expériences de conflit travail-famille aient varié de manière significative en fonction des spécificités de leur situation professionnelle (travail sur site ou à domicile, heures travaillées), du degré de flexibilité de l'emploi et du degré d'autonomie du ou des enfants. La majorité des participants travaillaient à la maison et faisaient l'école à la maison à leurs enfants. Ces parents ont vécu la perte de structure des horaires d'emploi et d'école comme un facteur de stress et la plupart ont eu besoin d'une période d'adaptation pour s'adapter à la nouvelle situation. De nombreux parents ont eu du mal à trouver un équilibre entre le besoin de souplesse dans les horaires de travail, qui pourrait faciliter l'adaptation aux exigences familiales, et la nécessité d'une structure suffisante pour répondre aux exigences des deux domaines. Les parents ayant le plus de conflits entre le travail et la famille ont fait plus d'efforts pour créer des horaires structurés qui pourraient faciliter leur articulation.

Notre projet a également montré comment les parents ont navigué à travers l'incertitude accrue déclenchée par l'apparition de la pandémie. Ils se sont efforcés de décider comment agir dans ce nouvel environnement, alors que les routines s'effondraient et que de nouvelles situations apparaissaient, auxquelles ils ne pouvaient pas répondre sur la base de leur comportement habituel. Si la gestion des contacts sociaux et de la mobilité extérieure était généralement une source d'incertitude prolongée, l'établissement de nouvelles routines et habitudes après une période d'adaptation semble avoir compensé les effets de la complexité et des ambiguïtés des circonstances environnantes. La chronification de l'incertitude a diminué la capacité à se projeter dans l'avenir pour les participants qui se trouvaient dans des situations plus précaires. L'expérience d'être un parent isolé, et donc d'avoir surmonté l'ajustement à l'éloignement de la forme familiale standard et l'augmentation de l'incertitude et de l'effondrement de la structuration quotidienne qui y sont associés, peut avoir rendu ces parents plus résilient-es face aux défis déclenchés par la pandémie.

Publications de ce sous-projet

  • Sánchez-Mira, N., Moles-Kalt, B., & Bernardi, L. (2021). Managing uncertainty: Lone parents’ time horizons and agency in the context of the COVID- 19 pandemic. Journal of Family Research, 1–30. https://doi.org/10.20377/jfr-696
  • Sánchez-Mira, N., Bernardi, L., Moles-Kalt, B., & Sabot, C. (2021). The Reshaping of Daily Time during the COVID-19 Pandemic: Lone Parent’s Work-Family Articulation in a Low-Intensity Lockdown. Social Sciences, 10. https://doi.org/10.3390/socsci10070239
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